Les petits doigts chez Yann Leroux, psy 3.0

© Yann Leroux

© Yann Leroux

Rencontre #3 avec Yann Leroux, docteur en psychologie, psychanalyste et fin connaisseur des jeux vidéo et mondes numériques.

Yann est un psy atypique, présent sur le web depuis la nuit des temps, il a bien voulu répondre à mes questions en décembre dernier. Voilà le compte rendu de notre conversation téléphonique de décembre dernier. Nul doute qu’on sera appelés à se retrouver dans le monde physique très prochainement !

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Bonjour Yann Leroux ! Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et peut-être expliquer votre présence sur la toile ?  

Yann Leroux, docteur en psychologie et gamer ! Je suis basé à Périgueux mais mon cabinet se trouve à Gradignan, à côté de Bordeaux. Je suis un navetteur professionnel 😉

Ma présence sur le net remonte à usenet, la Rome antique du monde numérique, des newsgroups. J’y découvre ses règles et normes non explicites, le texte brut. C’est d’ailleurs là que Tim Berners-Lee annonce la création du World Wide Web en 1991.
Je suis très bavard, les forums libres sont un endroit idéal pour échanger des idées. J’aime également les plateformes de jeu multi-joueurs comme The World of Warcraft.  Dans le cadre de ma pratique professionnelle, cela permet d’abord des rencontres et la lecture d’articles de collègues sur OMNSH par exemple.

Je me suis intéressé très tôt à la dynamique des groupes en ligne que je trouve identique à celle des groupes thérapeutiques. Mon expérience sur Usenet, mon travail d’observation m’ont permis d’étoffer mon activité de conceptualisation. Je contacte alors René Kaës (1) à propos de ses travaux sur la dynamique inconsciente des groupes. Il va me donner des pistes de réflexion, orienter mes recherches et m’aider à trouver d’autres relais dans la communauté scientifique. J’ai alors l’occasion de rencontrer Serge Tisseron (2)  lors d’un colloque. Il accepte de diriger mon projet de recherche sur la groupalité sur internet, « comment se forme-t-elle ? quels en sont les dynamiques ? Sont-elles similaires à celles des groupes hors-ligne ? » (3)

Je ne sais pas comment je pourrais ne pas être sur le web, la blogosphère ou encore les réseaux sociaux. C’est une évidence. Depuis mon poste de vigie, j’observe, j’essaie de comprendre et de me forger un avis. L’expérimentation des mondes en ligne est un passage obligé. J’ai aussi un côté un peu militant : je pense que les sciences sociales doivent humaniser, jeter un regard humaniste, avoir une discussion avec le monde connecté. Chers collègues, il faut être connectés pour comprendre nos patients !
C’est un espace particulier.  Mieux vaut risquer de se tromper que ne rien faire.

Mon blog – Psy et Geek – est « comme un atelier où théorisation des processus et dispostifs de l’Internet sont étudiés in vivo(…) Certains articles tiennent plus de la prise de notes que de l’argumentation, d’autres sont un peu plus avancés. Dans tous les cas, ils appellent des commentaires » (4).

tablette doudou yann leroux

« La tablette n’a pas du tout les qualités du doudou » – Yann Leroux (6)

Quel est votre point de vue sur les enfants et les nouvelles technologies. On confronte souvent les écrans dits passifs (ex. la télé) aux tablettes tactiles supposées plus interactives…  

On a, un moment donné à la tablette la fonction de « doudou numérique ». Hors, le doudou est un objet doux. La langue française dit vrai. Le doudou est avant tout sensoriel. C’est un objet qui se transforme jusqu’à ce qu’il ne ressemble plus à rien. La tablette n’a pas du tout les qualités du doudou.

Il ne faut pas l’idéaliser et s’en servir d’un épouvantail par rapport à la télé. L’interactivité est illusoire. Les enfants ne maîtrisent pas vraiment l’outil. Ils bénéficient d’un design fluide, intuitif. Personnellement, j’aime bien que le game design me donne l’impression que je ne fais qu’un avec le dispositif.

(A lire également, un article paru le 25 janvier 2014 sur le blog Psy & Geek : Le jeune enfant et les écrans.)

Quid de la tablette et son impact sur les relations enfants-adultes ?

C’est un objet qui peut se passer facilement de main en main. C’est un médium intéressant qui peut favoriser la création de liens et de discussion (note : voir l’interview de Véronique Favre en novembre 2013).  Mais, utilisée de manière posée, chacun derrière sa tablette, elle permet également de ne pas avoir à parler aux autres. La fonction de baby-sitter qui est parfois donnée aux tablettes est le pire usage qu’on puisse leur trouver.

On voit de plus en plus de développeurs d’applications mais aussi d’intervenants pseudo-formateurs qui transforment petit à petit un outil ludique en repoussoir, les parents en thérapeutes…  

Le problème est plus général. Il n’y a pas beaucoup de recherches dans le cadre thérapeutique. Beaucoup vendent du rêve mais la tablette ne va pas résoudre tous les problèmes de l’enfant s’il en a. C’est à nous, professionnels, de communiquer clairement sur ce qu’on peut faire avec la tablette. C’est aux associations professionnelles de préciser ce qu’on est en droit d’attendre d’une tablette.

On a encore un long chemin à effectuer si les psychologues eux-mêmes parlent d’enfants mutants (5), d’enfants qui naissent avec le numérique ! On peine à se représenter les choses dans leur banalité et à sortir de la pathologisation. On a besoin de structurer la réflexion et proposer un guide des pratiques d’utilisation. Il nous faut travailler sur une représentation claire de ce qui se passe avec ces machines afin d’éviter tout charlatanisme.

Merci Yann Leroux d’avoir répondu si rapidement à ma demande de rencontre en ligne ! Je rappelle qu’on peut vous suivre sur le blog Psy & Geek mais également twitter et facebook ; et, que vous êtes l’auteur de deux livres publiés chez FYP Editions.

© Yann Leroux

Les Jeux, ça rend pas idiot – FYP EDITIONS 2012

© Yann Leroux

Mon Psy sur Internet – guide pratique et mode d’emploi de consultation en ligne – FYP EDITIONS 2014

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(1) « Les théories psychanalytiques du groupe » – René Kaës, Que Sais-je?, Editions PUF, 1999. http://www.pedagopsy.eu/livre_groupe_kaes_petit.htm

(2) à propos de Serge Tisseron. Serge Tisseron est psy­chia­tre et psy­cha­na­lyste, directeur de Recherches (HDR) à l’Université Paris VII Denis Diderot. Il a lancé en 2007 la règle « 3-6-9-12 » suivant les préconisations de l’Association de pédiatrie américaine et relayée par la campagne récente de Yapaka.be ; et, a été co-auteur de l’Avis de l’académie des Sciences sur « L’enfant et les écrans » (janvier 2013)

(3) source : éditions Erès http://www.editions-eres.com/auteurs/8463-yann-leroux.htm

(4) source : blog Psy & Geek de Yann Leroux

(5) en référence au colloque récent Enfants mut@nts  ? Révolution numérique et variations de l’enfance – organisé par l’APPEA / Association Francophone de Psychologie et Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent en octobre 2013

(6) Doudou et livre en tissus « Cot Cot » chez Lilliputiens

3 réflexions sur “Les petits doigts chez Yann Leroux, psy 3.0

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